La petite histoire du Plomb et du Zinc en Cévennes
Par J.P ROLLEY avec la collaboration de
M. Wienin
Le zinc (symbole Zn, numéro atomique 30) est
un élément chimique métallique blanc bleuâtre appartenant
au sous-groupe II b de la classification périodique. Quoiquil soit
de grande consommation et que ses applications se rencontrent dans la vie courante,
il est peu connu.
La production annuelle mondiale augmente lentement et dépasse 7 millions
de tonnes au milieu des années 1990
Les minerais de zinc se trouvent dans la nature sous deux formes principales:
dune part, les variétés sulfurées, blende (ou sphalérite)
et wurtzite; dautre part, les variétés oxydées, smithsonite,
hydrozincite (carbonates), franklinite, zincite (oxydes), hémimorphite
(ou calamine), willemite (silicates).
Les teneurs en zinc du minerai varient de 2 à 12 p. 100. Le minerai sous
forme de blende est enrichi par flottation. Les minerais oxydés, qui
se prêtent mal à la flottation, sont moins exploités. En
1993, les principaux pays producteurs de minerai sont, par ordre décroissant:
le Canada, la Chine, le Pérou, les États-Unis, lex-U.R.S.S.,
le Mexique, lIrlande, lEspagne et la Suède.
Le plomb (symbole Pb, numéro atomique 82) constitue 0,014 p. 100 de la masse de la croûte terrestre On le trouve essentiellement sous forme de sulfure (PbS, galène), de carbonate (PbCO3, cérusite) ou de sulfate (PbSO4, anglésite), plus rarement de chromate (crocoïte) ou de molybdate (wulfénite). Principal minerai, la galène est souvent argentifère et accompagnée dautres sulfures (blende, pyrite, notamment); il en résulte que la production annuelle de plomb et son prix sont relativement dépendants des fluctuations de loffre et de la demande dautres métaux. La production mondiale, répartie principalement entre lAustralie, le Canada, les États-Unis et le Mexique, était en 1991 de 3 340 000 tonnes. Les plus importantes réserves se trouveraient au Canada et en Australie. On utilise le plomb sous forme doxydes (accumulateurs) et sous forme métallique (tuyaux, feuilles, alliages pour soudure, alliages antifriction). Les composés organo-plombiques (essentiellement le plomb tétraéthyle incorporé dans les carburants pour en améliorer les qualités antidétonantes) sont de loin, par le tonnage consommé annuellement, les plus importants des composés organométalliques.
Lhistoire ancienne
Les plus anciennes traces dexploitations minières
datent probablement du XVIIIe siècle avant JC.
A Cabrières (Hérault), les travaux miniers actuellement étudiés
par P. Ambert e. a. sont datés du Chalcolithique, autour de 1800 avant
notre ère. Il sagit de minerais de cuivre antimonifères
utilisés pour la production régionale dun alliage à
5-8 % de Sb, succédané du bronze dans une région sans étain
et avant le développement dun commerce spécialisé
en direction des îles britanniques.
On indique souvant que, plus dun millénaire plus tard, les Phéniciens
auraient pénétré les Cévennes pour y exploiter des
mines métalliques, en particulier dans la région dAnduze.
Il semble bien cependant, quaucun vestige archéologique attribuable
aux phéniciens ne soit connu en Gaule hors de la côte, mais cette
attribution a été à la mode au 19e siècle.
(Voir par exemple dans la grande salle de la mairie lexplication
du nom dAlès : " du phénicien Alestum, ville industrielle
" ! (En fait Alsto = forge))
En fait, les premières traces dexploitations sérieuses
sont attribuées à lépoque romaine.
Le centre dintérêt principal des Romains (bien que le cuivre
cède la première place au fer dès le 3e siècle avant
JC) était liés au cuivre, à largent et à lor.
La quasi totalité des mines exploitées sont des filons à
cuivre gris argentifères ou aurifères. Ils extrayaient largent
et lor mais le plomb était peu utilisé. Notons toutefois
que celui ci était parfois utilisé pour lier les pierres entre
elles lors de la construction de ponts et que lon connaît même
de véritables tuyaux de plomb trouvés, en particulier à
Nîmes (canalisations de quelques cm de diamètre).
Il semble cependant que les Cévennes furent peu exploitées et
que la majorité du plomb utilisé provienne de Sardaigne.
Le Zinc pour sa part nétait pas connu des Romains, mais en associant
des minerais de zinc avec du cuivre, ils constituaient lorichalque, métal
ressemblant beaucoup à lOr.
Les mines de lArgentière, des Malines et de la Croix de Pallières,
etc., semblent avoir été exploitées à cette époquue.
Notons que près de 600 m de galeries antiques, datées par des
fragments de lampes, ont été découvertes près de
Neyrac (Cubières, 48) le minerai était de la galène argentifère
en mouches et nodules dans la dolomie.
Le moyen âge
Après la période romaine, les invasions barbares
ont probablement stoppé lexploitation minière. La tradition
orale et les érudits locaux du 19e siècle signalent une exploitation
par les Sarrasins. Aucun document, écrit ou archéologue ne vient
toutefois à lappui de cette affirmation. Quant on sait que leur
présence à Nîmes na duré quun peu plus
de douze ans, il est peu probable que cela ai pu leur permettre de mettre en
place des exploitations bien importantes dans larrière pays.
Il faut attendre un millénaire et le moyen age pour retrouver des traces
de travaux miniers.
À cette époque, le zinc navait aucune valeur et le plomb
nétait quun sous-produit de largent (environ 10 kg
de plomb pour 10 grammes dargent). Largent était fort recherché
car les seigneurs qui possédaient des mines pouvaient frapper de la monnaie.
Le plomb était parfois utilisé pour le scellement ou pour létanchéité
des toitures de cathédrale (feuille de plomb), mais aussi pour les vitraux
(Pb + Sb), même si les quantités nécessaires ne sont pas
énormes.
On trouve à cette période une intense activité minière,
mais la production reste faible. On estime à une vingtaine de milliers
de tonnes le minerai brut extrait dont environ 6000 tonnes de plomb.
Aux 12e et 13e siècles, tous les gisements argentifères sont exploités
et sil sagit souvant de sulfoantimoniures de plomb et de cuivre
et non la galène. En Cévennes, les minerais complexes sont rares
(Bluech et St Laurent le Minier) et les textes citent surtout Durfort, Ispagnac,
Bédouès, LArgentière, etc, où il sagit
de galène.
Le minerai subissait deux transformations : une réduction suivie dune
oxydation qui permet disoler largent. Loxydation du plomb
donne naissance à de la litharge, qui ne contient plus dargent
et est utilisée pour la composition des peintures. Pour obtenir du plomb,
il faut réduire cette litharge, mais ceci est peu pratiqué et
le plomb était généralement importé.
On admet en général quen 1160 les guerres de succession
du trône dAngleterre, (suite au mariage dHenri II dAngleterre
avec Aliénor dAquitaine en 1152) semblent porter un coup fatal
à la mine.
En fait il semble que, si la guerre en question a joué un rôle
important dans louest de la France (fin des mines de Melles - Deux Sèvres),
aucun texte nindique quelles aient eu des répercutions importantes
en cévennes, tout au plus un creux de quelques années. Au contraire,
les mentions de mines se multiplient à partir de cette date (qui dit
guerre dit besoin de liquidités, et on est entre la 2e et la 3e croisade).
On est aussi à lapogée de la construction des églises
romanes, donc à une époque florissante, pas en crise.Après
la croisade contre les albigeois, lexploitation minière reprend,
aidée par de nouvelles réglementations et larrivée
de mineurs venus dEspagne ou dAllemagne. Cette reprise va correspondre
à une période faste pour la mine, qui va sétendre
sur presque tout le XIIIe siècle. Les textes signalent même linstallation
temporaire dhôtels des monnaies dans les villes dont les seigneurs
possèdent des mines dargent : Sauve, Maruéjols, Largentière
La mine va décliner au début du XIVe pour disparaître presque
complètement avec la peste noire (1348) et la guerre de cent ans, bien
quil ny ait pas de combats en Languedoc avant 1356
Cest aussi au XIVe siècle que la glaçure au plomb apparaît
dans les céramiques de lUzège.
En Cévennes, on ne trouve pas de traces dune reprise sensible de
la mine après la guerre de cent ans. Seul lor fait lobjet
dune certaine reprise, les doriers sont autorisés à
exploiter pour livrer leur production à latelier monétaire
de Montpellier.
Mais cette époque va elle aussi être de courte durée car
la découverte du nouveau monde va inonder lEurope dor
et dargent provoquant un arrêt brutal de lexploitation minière.
Les prémices
Lactivité minière ne reprend peu à
peu, quà partir de la fin du XVIIe siècle avec en particulier,
Villemagne-lArgentière (Hérault) et de lArgentière
(Ardèche). Il convient dassocier à ce renouveau minier le
nom de la Marquise de Beausoleil. Au XVIIIe cest M. de Genssane qui ouvre
la galerie des Seigneurs à Trèves.
Vers 1730, la mine de St Sébastien dAigrefeuille était en
activité et comprenait une unité de séparation du minerai
et une fonderie.
La mine de Durfort eut une activité probablement discontinue de 1737
à 1833 et produisait de la galène destinée à faire
du vernis pour les potiers (doù son nom de " Grande Vernissière
").
En 1775 la mine de Poucarès (Lozère) commence son activité
avec lexploitation du filon de St Sauveur (il sagit du gisement
actuellement connu sous le nom de Villemagne, à Saint-Sauveur-Camprieu).
La révolution marque un nouveau coup darrêt pour la mine,
mais celle-ci va reprendre sous lEmpire, grâce à une nouvelle
réglementation minière (La loi du 1er décembre 1810 qui
établit le régime moderne des concessions) et limportance
de la demande en métaux pour larmement.
Les Cévennes connues pour leur richesse en minerais vont connaître
une période faste.
Par exemple, la mine de Vialas qui a pris en 1781 la suite de la mine de Villefort,
fournit en 1847 le quart (700kg) de la production dargent française.
En 1855 sa production dargent est de 1500kg. On estime que la mine qui
fermera en 1894, au moment où largent cesse dêtre utilisé
comme étalon monétaire et voit son cours chuter, aura produit
environ 100 tonnes dargent et 20000 tonnes de plomb.
Les vieux Cévenols disaient quaprès la guerre de 1870, largent
avait servi à payer la dette de guerre, et le plomb à préparer
la revanche (celle de 1914).Le zinc pour sa part nest pratiquement pas
exploité car on ne connaît pas sa métallurgie et le zinc
métallique est importé dinde (région du Rajasthan)
jusquen 1850 environ puis du Hartz (Allemagne).
Le zinc est cité pour la première fois sous sa dénomination
actuelle par Paracelse dans son traité De re metallurgica, au début
du XVIé siècle. Son exploitation industrielle a commencé
en Angleterre en 1740 et en 1810 en Europe continentale.
En 1850, le zinc était peu connu et ses rares utilisations proviennent
de grillage de minerais oxydés souvent appelés à tort des
calamines (les minéralogistes français réservent
cette appellation au silicate de zinc hydraté, lhémimorphite,
dont la formule chimique est SiO2, 2ZnO H2O).
Avant le 19e siècle, son seul usage industriel important est la platinerie,
cest à dire la fabrication de tôle de fer blanc (recouvrement
par fusion et compression à chaud et non par voie électrolytique
comme actuellement). Accessoirement, il sert pour le polissage des métaux
ou du verre (blanc de zinc) ou en pharmacie (pommade à loxyde de
zinc).
Il nexiste pas à proprement parler de mine de zinc à cette
époque en Europe. Le zinc comme le plomb sont en fait des sous produits
de la mine dargent car les débouchés sont limités
et ne nécessite le développement de mines spécifiques.
Pourtant, en 1846 une usine à zinc est construite, à la Pise à
la GrandCombe, par M. Mirial, concessionnaire des mines de la Pallière
et Serres, pour traiter les blendes et calamines liées au Pb argentifère
de la Pallière. La partie conservée (les fours et parties chaudes
ont été détruits) se trouve à lextrémité
est de la zone industrielle de La Pise (anciens ateliers des HBC). En Belgique
la Vieille Montagne a installé des fours à Aboken quelques années
plus tôt.
La ruée vers le Zinc
En 1870 la mine des Avinières, dans la concession de
St Laurent le Minier, devient lune des toutes premières mines de
Zinc. La demande en zinc est très forte (cuves à eau, etc.) et
cette mine rapporta beaucoup dargent à ses investisseurs. Il se
déclenche alors une véritable ruée vers le zinc.
Les Cévennes apparurent comme lEldorado européen : on pouvait
devenir riche grâce au zinc.
(En fait la ruée vers le sous-sol cévenol du dernier tiers du
19e siècle et du début du 20e nest pas uniquement liée
au zinc. Tous les minerais et matières combustibles sont prospectés
intensivement par quelques professionnels et beaucoup plus damateurs,
sans oublier quelques farfelus.)
Des trous furent creusés dans une multitude dendroits, ce qui eut
tôt fait de représenter plusieurs centaines de kilomètres
de galerie.
Mais la découverte de minerais de zinc était la plupart du temps
le fruit du hasard et lespoir qui reposait sur le zinc fut éphémère,
tout comme cela fut le cas pour les ruées vers lor dAmérique
de lOuest
Il semble également que cette période, comme toute période
deuphorie, est abritée tout un lot dopérations douteuses.
Lhistoire de la concession de St Hippolyte-du-Fort en est un exemple caractéristique
: de nombreuses galeries furent creusées, de nombreux travaux furent
réalisés et plusieurs installations virent le jour, mais en réalité
il semble quil ny ait eu aucun indice sérieux. Très
vite le site ferma et les instigateurs du projet partirent avec les fonds récupérés.Pourtant,
quelque temps après,à St Laurent le minier, des pharmaciens de
Gange, reprirent une galerie quun facteur avait creusée pendant
la période euphorique puis abandonnée après plus de 25
mètres de creusement sans avoir trouvé de trace de zinc. Les nouveaux
travaux aboutir très vite, entrant 4 mètres plus loin dans un
formidable amas calaminaire évalué à plus de 200 000 tonnes
de minerai riche, (baptisé amas Andrée) !
Cette découverte (à lorigine de la mine des Malines) fit
leffet dune véritable bombe et relança aussitôt
la ruée sur le zinc, avec cette fois un exemple de ce quil ne fallait
pas faire : sarrêter de creuser.
De nombreuses exploitations furent ouvertes. Les mines de zinc représentaient
lespoir de senrichir pour les actionnaires mais aussi une source
importante demplois. La mine des Malines employa prés de 600 ouvriers
pendant plus de 20 ans (1890-1912) et lon estime quelle faisait
travailler plus de 3000 personnes. La production annuelle tournait au alentour
de 50000 tonnes de tout venant.
Il est probable que sur lensemble des mines des Cévennes, cest
près de 20000 personnes qui vivaient directement ou indirectement des
mines de zinc.
On comptait 116 exploitations en activités au début
du siècle (certaines de ces exploitations ne sont en fait que des galeries
qui nont jamais rien produit).
En 1914, il y avait de nombreuses concessions exploitées par autant de
petites entreprises, mais rares étaient les compagnies très riches.
Le minerai trié et grillé dans des fours à calamine était
en grande partie exporté vers la région dAboken en Belgique,
où se trouvait la plus grande fonderie de lépoque.
Le déclin
Pendant la première guerre mondiale, lactivité
minière fut presque totalement abandonnée, suite au départ
des mineurs pour le front. (Comme pour le charbon, certaines mines continuèrent
au ralenti en utilisant des prisonniers allemands. Un camp prévu pour
200 mais qui ne semble pas avoir dépassé 120 existait à
St Laurent le Minier).Après la guerre, les exploitations reprirent, mais
beaucoup dinvestisseurs finirent par abandonner lidée de
devenir riche grâce à lEldorado cévenol,
le rêve minier est terminé et de nombreux travaux miniers furent
abandonnés.
Seules quelques entreprises puissantes peuvent encore exploiter.
Il ny eu bientôt plus que quatre mines en activité. Mais
le manque de main duvre et la concurrence dautres pays limite
la production : la mine des Malines ne produira entre 1916 et 1929 quen
moyenne 6500 tonnes de tout venant, très loin des tonnages davant-guerre.
La crise de 1929 engendra une baisse de la production industrielle qui affecta
largement le secteur minier. La mine des Malines arrêta même son
activité en 1934
Il faut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour voir la mine
de plomb-zinc repartir. En effet, la reconstruction a besoin de plomb pour les
tuyaux et de zinc pour les cuves à eau, les gouttières, etc.
Mais, après un rapide redémarrage, lactivité minière
connue des haut et des bas. Elle est à la fois soumise à la fluctuation
des cours des métaux et au manque de réserves.
La mine des Malines, grâce à la découverte de nouvelles
réserves, voit sa production augmenter rapidement et passe de 50000 tonnes
de tout venant en 1950 à 280000 tonnes en 1970. Cette augmentation se
fait par une amélioration des techniques de production au détriment
des mineurs qui passent de 200 à 125Les gisements sépuisent
et la prospection est active.
La mine de lArgentière redémarre en 1964 avec une production
de 130000 tonnes de tout venant pour atteindre 553000 tonnes en 1970.
La mine de St Salvy (Tarn) pointe son nez, découverte en 1965 elle entrera
en exploitation en 1975.
Mais le déclin est amorcé, le manque de réserves entraîne
la fermeture des quelques mines qui survivent. La mine de la Croix de Pallières
ferme, licenciant 159 employés en 1971. Trèves et Villemagne ferment,
et à la fin des années 70, seules les Malines et lArgentière
fonctionnent encore mais pour peu de temps.
Largentière ferme en 1982 et les Malines à court de réserves
sarrêtent en 1992, mettant un terme à lexploitation
du plomb et du zinc en Cévennes